Article paru dans Tout l'immobilier, 16 janvier 2017
Comme chaque année et en exclusivité pour Tout l’Immobilier, les trois experts d’Analyses et Développements immobiliers - François Hiltbrand, Fabrice Strobino et Gary Bennaim - prévoient que 2017 ne sera un millésime opulent sur le plan des prix immobiliers. Les risques de surchauffe que dénonçait de façon quasi obsessionnelle la BNS - sans écouter le moins du monde l’avis des professionnels - voilà encore quelques mois paraissent bien éloignés.
En 2016, le marché immobilier, de manière générale, a continué à évoluer dans la même direction que celle qu’il avait empruntée en 2015. En effet, les prix ont globalement baissé d’au moins 10%. Certains biens, affichant un défaut (norme énergétique dépassée, pas de domotique, etc.) montrent même aujourd’hui 30% de décote dans le secteur des prix de plus de CHF 2 500 000.-
Et rien ne semble montrer que cela va changer… Notre analyse ci-dessous porte sur les différents segments. Car, à l’inverse de la fin des années quatre-vingt, il n’y a plus un seul marché, mais plusieurs catégories qui répondent à des influences bien différentes. Comme nous l’avions déjà soulevé en 2015, chaque segment renferme en outre divers sous-segments.
Premier segment: la propriété individuelle
Nous pouvons regrouper dans le premier segment les villas (individuelles ou jumelées) et les appartements. Quatre facteurs principaux, aidés par l’avancée de l’âge des propriétaires, engendrent un intérêt décroissant pour la villa; les déplacements motorisés engorgés, l’exposition aux cambriolages, l’entretien du jardin qui devient fastidieux et la crainte - parfois justifiée - de revente difficile pour des objets dépassant souvent 2,5 millions de francs.
Jusqu’au montant dit «Casatax» (CHF 1 184 332.- en 2016, avec des frais d’enregistrement de l’État réduits), les acquéreurs sont encore bien présents pour des biens comprenant 3 chambres. Or les offres manquent. Parallèlement, les banques ont donné un coup de frein à l’octroi d’hypothèques. D’une part il est demandé aux futurs propriétaires de trouver 10% de fonds propres qui ne soient pas issus du deuxième pilier. D’autre part, le calcul de la tenue des charges s’établit avec un taux d’intérêt de 5%, 6%, voire 7%, en plus des charges (1%) et de l’amortissement du 2e rang.
En résumé, pour CHF 1000000.- d’emprunt, cela correspond à des charges théoriques d’au moins CHF 60 000.-, ce montant ne pouvant pas être supérieur au tiers du revenu familial qui serait alors dans notre exemple de CHF 180 000.- par an. On arrive donc à deux salaires annuels de CHF 90 000.- et nous noterons au passage que, dans le cadre des locations, le rapport charges/revenu est de 25%; de là à penser que l’État préfère que le peuple suisse reste locataire, il n’y a qu’un pas. Pourtant, l’accession à la propriété est inscrite dans la Constitution…
Le sous-segment des biens entre CHF 1 200 000.- et CHF 1 700 000.- reste actif avec beaucoup de difficultés, mais la votation sur RIE III conditionne fortement sa survie. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, les charges théoriques sont un grand frein à l’accession à la propriété. Or, si l’objet de la votation est refusé, les grandes entreprises locales ou internationales dans lesquelles travaille ce réservoir d’acquéreurs vont aisément déménager dans d’autres cantons, avec une sécurité fiscale garantie.
Dans le sous-segment situé entre CHF 1 700 000.- et CHF 2 500 000.-, le marché peine à trouver ses marques. En effet, la plupart des banques demandent des fonds propres supplémentaires (car ces objets sont considérés comme des «biens de luxe» selon leurs tabelles nationales) et ne prennent plus en compte les bonus de fin d’année dans le revenu déterminant pour calculer les charges théoriques.
Finalement, en dessus de CHF 2 500 000.-, le marché reste confidentiel, les vendeurs ne voulant pas faire apparaître leurs biens à la vente. Cependant, même dans ce secteur, les petits défauts que les acquéreurs acceptaient les années précédentes deviennent des sources de décote, parfois importantes. La villa individuelle dans ce début de tranche de prix impose trop de charges et fait moins rêver. D’autant plus qu’une fois les enfants partis, la clientèle fortunée intéressée par ces objets se voit plutôt dans un appartement, vite fermé pour les nombreux voyages à portée de bourse et plus aisé à entretenir.
De notre point de vue, la situation déflationniste que nous connaissons ne devrait pas se terminer en 2017. Si les taux sursautent vers le haut, c’est plutôt parce que la Banque centrale des Etats-Unis souhaite montrer qu’elle maîtrise encore les marchés. Dans ce climat de morosité économique ambiante suspendue au résultat des votations de février 2017 sur RIE III, l’année en cours risque bien d’être qualifiée de momentum.
Second segment: l’immobilier de rendement
L’immobilier de rendement peut être partagé en trois sous-segments, dont l’attrait dépend des acquéreurs et de leur possibilité légale d’acquérir un bien.
Le premier est le marché locatif du logement, qui reste très disputé. Le solde migratoire annuel à Genève avoisinant les 6000 personnes (stable, environ 1% de la population) et le nombre de nouveaux logements construits étant de 2000 dans les bonnes années, on constate un manque flagrant de logements. La pression sur les loyers va donc continuer, sans toutefois atteindre les excès que nous avons connus par le passé.
Nous observons des taux de capitalisation jamais vus, par exemple la vente de logements sociaux à des Caisses de pension sur la base de taux de rendement brut des fonds propres à 3,60%. Les Caisses de pension payent des intérêts confiscatoires à la BNS pour les fonds déposés sur un compte et doivent en plus garantir le paiement des rentes actuelles et futures… Il leur faut donc trouver des placements sûrs, moins volatils et exposés que les marchés financiers. L’immobilier de logement locatif se pose en vecteur parfait. Les assurances, d’un autre côté, vendent des contrats avec des rendements garantis basés sur des taux avoisinant 0,0% et sont également des investisseurs dans ce segment. De ce fait, la concurrence est farouche et les prix sont poussés vers le haut, les Caisses de pension peinant alors à atteindre leurs objectifs de placements immobiliers. L’Etat joue également un rôle central et pernicieux dans cette pénurie qui dope encore les prix. En effet, il tarde à délivrer les autorisations par des procédures chicanières et n’alloue pas les ressources nécessaires pour accélérer le processus.
Ajoutons à cela les incertitudes vis-à-vis du renouvellement de l’Accord sur le logement où gauche et droite s’affrontent sur des dogmes inamovibles et ancrés dans les gènes de part et d’autre. Les investisseurs préfèrent s’investir (c’est le cas de le dire) dans l’étude de dossiers hors de notre beau canton.
Surfaces commerciales
Au second sous-segment, nous trouvons des surfaces commerciales: leur taux de vacance ne cesse de croître et de nouveaux projets importants arriveront encore, ces prochaines années, sur le marché, notamment à proximité de l’aéroport. Les investisseurs étrangers peuvent s’y intéresser, ce qu’ils ne peuvent pas faire dans le sous-segment du logement à cause de la LFAIE. Les prix des loyers, qui avaient pris l’ascenseur, se sont apaisés depuis un ou deux ans, les pertes d’emplois dans certaines industries, dont le secteur bancaire, étant en grande partie responsables et expliquant le taux de vacance observé. Si l’on ajoute à cela que les employés ont la possibilité d’être mobiles avec le télétravail, cela a pour effet de réduire leur besoin en surface jusqu’à 40%. En revanche, les petites PME qui ont besoin de 150 m2 environ peinent à trouver des surfaces à des loyers abordables. La correction des prix observée, et qui continue de s’opérer, devrait leur permettre de répondre à leurs attentes. En revanche, le centre-ville, avec ses contraintes légales en matière de surfaces, verra une correction de prix moindre. Ainsi, les locaux se développeront naturellement dans la périphérie, avec des loyers d’environ CHF 250.-/m2. Mais avec ces niveaux de loyer, les rendements sont très faibles !
Le troisième sous-segment est celui des arcades. Le mode de consommation par Internet redistribue complètement les cartes. En effet, de grandes enseignes ont déjà quitté le centre-ville avec ses lourds prix de location, à l’exception de grandes enseignes de bijouterie ayant confondu le loyer de New York avec celui de la Cité de Calvin. Les autres seront obligés de se réinventer. De plus, les contraintes légales de la Ville de Genève (Plans d’utilisation du sol) freinent toute progression des prix de location des arcades et par ricochet l’espoir de croissance du prix de l’immeuble.
Le quatrième sous-segment inclut les surfaces industrielles. Celui-ci traverse une crise plus importante, car les surfaces de terrain manquent et leurs accès sont difficiles. Le grand secteur du PAV a été mal géré par l’État et il est difficile de convaincre une entreprise avec un bon rendement de quitter ses locaux avant l’échéance de son bail foncier (droit de superficie), à plus forte raison quand le loyer foncier est faible, donc peu incitatif au déménagement et que la parcelle est située proche de la bretelle autoroutière, de la Ville et de la future gare du CEVA. D’un autre côté, l’approche d’indemnisation de l’État reste peu convaincante. Les surfaces où l’entreprise pourrait posséder le foncier et le bâtiment, a contrario du principe du DDP, restent très rares. Finalement, les surfaces proposées sont grandes et le tissu genevois, à l’image des PME, requiert de petites unités locatives pour les PMI.
Si les PME, les PMI et les foyers ne trouvent pas des surfaces à louer ou acheter, la pénurie perdurera. Cela ralentira la sortie de la crise qui s’est installée, créera de nouveaux problèmes écologiques dus à des déplacements inutiles sur le canton. Mais surtout, cela empêchera toute nouvelle rentrée fiscale, alors que le canton de Genève vient de voter un budget déficitaire pour 2017.
Fabrice Strobino, François Hiltbrand et Gary Bennaim
1. Voir notamment
Tout l’Immobilier No 751,
du 19 janvier 2015.
http://www.toutimmo.ch/article/3990