Article paru dans Tout l'immobilier, 19 mars 2018
En exclusivité pour Tout l’Immobilier, François Hiltbrand, Fabrice Strobino et Gary Bennaim, de la société Analyses et Développements immobiliers Sàrl*, nous livrent un tableau actuel du marché genevois, en fonction de leurs observations et des données recueillies auprès d’acteurs du marché de premier plan. L’an 2018 ressemblera vraisemblablement au millésime 2017. En 2017, le marché immobilier local a continué l’atterrissage en douceur qu’il avait amorcé il y a quelques années… On a toujours l’impression de se rapprocher du sol petit à petit et on se dit qu’on va bien rebondir prochainement, mais cette issue semble régulièrement repoussée.
Propriété individuelle
Le premier segment regroupe les villas (individuelles ou jumelées) et les appartements. Au cours des dernières années, on a vu un regain d’intérêt pour la petite villa contiguë (2 niveaux de 60 m2 chacun + sous-sol) et moderne, avec un petit jardin de curé permettant de profiter de la verdure et du barbecue, sans nécessiter de travaux, ni de coûts d’entretien importants. En cela, on se trouve avec un type de logement qui est un parfait succédané à l’appartement, tout en bénéficiant d’un environnement moins urbain et souvent plus vert. Les promoteurs ne se sont pas trompés en développant vigoureusement ce type de projets en zone villas, les prix restant abordables (entre 1,2 et 1,5 million selon la taille et l’emplacement), puisque de telles maisons se vendent sur plans comme des petits pains, alors que l’intérêt pour les villas était bien moindre par le passé. Comme dans le cadre d’appartements, les potentiels acquéreurs sont très demandeurs pour des biens comprenant 3 chambres, tant qu’on se trouve en-dessous du montant dit «Casatax» (CHF 1’172’986 francs exactement, cette valeur étant adaptée annuellement à l’indice genevois des prix de la construction chaque année). Or, en dépit du développement des nouvelles constructions, qui restent toujours bien en dessous de ce qui serait nécessaire pour absorber le solde positif migratoire, les offres continuent de manquer. Les zones de développement continuent de s’étoffer, et avec elles les zones dites «réservées», ce qui étatise les valeurs des biens y figurant, fâchant alors les propriétaires qui y ont parfois investi des montants importants. La dynamique n’est pas près de ralentir et il est fondamental de connaître précisément ces éléments avant tout achat, sous peine de se retrouver avec un potentiel de développement attendu qui ne pourra jamais se réaliser, alors que le prix payé l’incluait et était donc surfait !
Des taux toujours bas
Les taux restant toujours bien bas, on commence à s’y habituer malgré les annonces répétées des hausses à venir et des frémissements outre-Atlantique. L’approche des banques reste intransigeante pour qui souhaite devenir propriétaire, puisque le calcul des charges se fait toujours sur la base d’un taux de 5% (même si on a un prêt bloqué à 15 ans à 1,2%…) auquel s’ajoutent les charges (1% annuel du prix d’achat en général) et l’amortissement du 2e rang (ou assimilé) ! C’est une façon de faire que l’on peut déplorer, mais on ne pourra pas contrer les directives internes de ces établissements, qui répondent notamment aux exigences des contrôles financiers de la Confédération. Cette situation permet de voir se développer plusieurs initiatives de «crowdfunding» (financement participatif) immobilier, mais il est trop tôt pour en tirer des conclusions. La situation chiffrée, pour un bien à CHF 1,2 million tel que décrit ci-dessus et financé à 80%, se traduit par des intérêts, charge et amortissement de CHF 35 520.- (hors rémunération des fonds propres), et si ce montant doit représenter au maximum un 1/3 du revenu familial, cela nous mène à un salaire global de CHF 107 000.- environ. Par comparaison, en 2017, l’Enquête suisse sur la structure des salaires révélait que le salaire mensuel brut médian genevois en 2014 atteignait CHF 7154 francs (40h/sem.), soit CHF 85 848.- annuellement. Naturellement, le cas ci-dessus paraît intéressant, puisqu’on se retrouve avec un loyer de moins de CHF 3000.-/mois pour une petite villa avec jardin, et on comprend dès lors que cela attire une partie de la classe moyenne. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’en cas de problème extraordinaire (remplacement de la production de chaleur par exemple), c’est bien au propriétaire de faire face et que cela peut être coûteux! Pour le segment supérieur, entre CHF 1,5 et 2,2 millions, ce sont essentiellement les cadres des grandes entreprises locales ou internationales qui composent le bassin d’acheteurs intéressé par de tels biens. Or, les décisions stratégiques prises par les autorités cantonales dans le cadre du PF17 (Paquet Fiscal 17, successeur de la défunte Réforme de la fiscalité des Entreprises ou RIE3) auront probablement des répercussions sur le maintien de telles entreprises sur le territoire ou d’éventuels déménagements à envisager… et pour l’instant on n’en sait toujours rien! Selon les établissements bancaires, les biens situés au-dessus de CHF 2 ou 2,2 millions sont considérés comme des «biens de luxe», ce qui limite rapidement les possibilités de financement, en nécessitant alors un niveau de fonds propres plus élevé. Finalement, en dessus de CHF 2,5 millions, le marché continue de rester plus confidentiel, les vendeurs ne voulant pas faire apparaître leurs biens à la vente, en particulier alors que les délais de mise sur le marché se sont fortement allongés et que les acheteurs, plus informés, sont sensibles aux détails et moins pressés d’acquérir à tout prix. La villa individuelle dans cette gamme de prix impose des charges importantes et ne fait plus rêver comme par le passé. De plus, la clientèle fortunée trouve finalement la vie plus facile dans un appartement luxueux, plus aisé à entretenir, voire à fermer pour voyager. De plus, on constate une forte baisse pour les loyers de grands appartements urbains, ce qui offre finalement plus de flexibilité pour ce segment. En conclusion, alors que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le marché finisse par atterrir, la phase de descente se prolonge, même si certains propriétaires essaient de proposer leur bien à un prix plus élevé que celui commandé par le marché… Ces ballons d’essai font long feu et on continue de voir des périodes de commercialisation s’étendant sur plusieurs mois pour des biens qui se situent au-dessus de CHF 2 millions, à moins d’une incroyablement bonne affaire. En l’absence d’une réelle reprise de confiance dans l’avenir, nous ne voyons pas le marché repartir vers le haut. Sur le plan local, l’ambiance reste plutôt attentiste, avec des lignes qui pourront se dessiner plus précisément selon le résultat des élections printanières et la validation (ou non) de PF17.
Immobilier de rendement
L’immobilier de rendement peut également être partagé en plusieurs catégories. La première catégorie comprend bien évidement le marché locatif du logement, qui reste très disputé. Le solde migratoire annuel à Genève restant stable à environ 1% de la population (quelque 5500 personnes), alors que le nombre de nouveaux logements construits dans les bonnes années était de 2000, voire moins, cela s’est naturellement répercuté sur le niveau des loyers. En dépit des récentes lois, qui devaient faciliter la surélévation d’immeubles et la transformation de locaux commerciaux en logements, on ne voit pas une explosion de l’offre nouvelle et la pression sur les loyers se maintient. Les taux ayant baissé, l’Asloca a soutenu les démarches de demande de baisse de loyer, mais les locataires ont dans l’ensemble préféré ne pas suivre cette voie, car ils savent que cela est à double tranchant, puisque toute hausse future (et annoncée) des taux leur sera directement répercutée. Les taux de capitalisation continuent d’être particulièrement faibles, avec des ventes à des assurances ou des caisses de pension qui se font sur la base de taux de rendement brut à 3,5%, voire en-dessous. Naturellement, ce type d’investisseurs institutionnels se retrouvant avec des taux négatifs sur leurs comptes bancaires, alors qu’ils doivent correctement servir leur retraités, ils ont tout intérêt à investir leur argent dans des placements sûrs, moins volatils et exposés que les marchés financiers, tout en tenant compte des obligations légales. La diversification des investissements dans l’immobilier a continué de se confirmer et la part de ces actifs a fortement augmenté dans les portefeuilles institutionnels au cours des dernières années, créant parfois des situations de concurrence difficiles à surmonter, puisque tirant les prix vers le haut, à des niveaux que les investisseurs «bons pères de famille» ne sont pas prêts à considérer, puisque le risque n’est alors plus correctement rémunéré selon leurs propres critères. De plus, la hausse des taux (toujours annoncée) fera diminuer la valeur de rendement et par conséquent la fortune du placement (à ce sujet, voir l’article de AMI: https://amint.ch/fevrier-2018-limmobilier-genevois-en-2017-un-record-mondial). Les prix étant hauts, cela peut parfois se répercuter sur les loyers, même si tous les travaux effectués ne le permettent pas officiellement. Par ailleurs, l’Etat ayant parfois tendance à tarder dans la délivrance des autorisations, certains propriétaires préfèrent faire fi du chemin officiel et acceptent le risque de l’amende… ce qui permet également de ne pas passer par la case «blocage de loyer pendant trois ans» de la LDTR… Naturellement, c’est un constat et nous ne pouvons pas recommander cette manière de procéder !
Surfaces commerciales: le casse-tête
La deuxième catégorie est celle des surfaces commerciales: depuis maintenant plusieurs années, leur taux de vacance ne cesse de croître, alors que de nouveaux projets continuent de fleurir. La conséquence est naturellement une baisse importante des loyers dans quasiment toute la région genevoise; il est désormais bien plus aisé pour un demandeur de trouver ce qui lui correspondra le mieux au sein des 300 000 mètres carrés actuellement vacants… la contrepartie se situe alors dans des compensations sur des travaux, des gratuités, etc. Mais les petites surfaces pour PME restent parfois difficiles à trouver, car les propriétaires préfèrent favoriser la reprise de plateaux complets. Cette situation permet le développement des projets novateurs tels le space-sharing, qui semblent répondre à des besoins nouveaux, en particulier lorsque le télétravail limite les besoins de surfaces. La encore, le peu de visibilité sur les issues de PF17, en dépit des hypothèses de travail qui ont été énoncées à ce jour, ne permettent pas aux grands acteurs commerciaux ou financiers de se positionner et laissent ouvertes les possibilités de départ, ne serait-ce qu’en direction du canton de Vaud qui a déjà annoncé le taux d’imposition qu’il appliquerait. Techniquement, les investisseurs étrangers peuvent s’intéresser à ce type de biens, mais dans ce cas à nouveau, les investisseurs institutionnels locaux sont des adversaires robustes et les rendements peuvent dès lors fléchir également dans cette sous-catégorie.
Arcades: l’effet Internet
La troisième catégorie est celle des arcades, car la consommation a fondamentalement changé au cours des dernières années avec le développement d’internet (Amazon a récemment conclu un accord avec la Poste) et la facilité à commander sans se rendre dans le point de vente. Si des enseignes combinent les deux modes de vente (Migros, Manor, Fnac, etc.), le besoin de se trouver au centre-ville est désormais limité, à plus forte raison avec les contraintes légales du PUS (Plan d’utilisation du sol) imposées en Ville de Genève depuis quelques années et qui limitent le type de commerce, contiennent la progression des loyers et bloquent donc toute augmentation du prix de l’immeuble. Seules les grandes marques de bijoutiers ou d’horlogers peuvent alors se payer une arcade à la rue du Rhône, puisqu’une partie du loyer est intégré comme frais de publicité/marketing et n’a donc pas le même impact sur les affaires que pour un glacier ou un restaurateur. La quatrième et dernière catégorie inclut les surfaces industrielles et artisanales. Pour celles-ci, la situation est un peu particulière, car les grandes zones sont déjà bien délimitées avec un mainmise importante de l’appareil étatique au travers de sa Fondation des Terrains Industriels (FTI), qui octroie ensuite des droits de superficie. Simultanément, le grand secteur du PAV qui promettait il y a quelques années, au travers d’une communication maladroite, monts et merveilles à très court terme, reste encore un grand point d’interrogation, car les entreprises présentes (et dont les contrats de DDP courent encore sur plusieurs dizaines d’années) n’ont aucune envie de se déplacer, à plus forte raison si les proposition de dédommagement sont faibles et peu incitatives. De plus, des acteurs privés ou institutionnels commencent à se positionner plus précisément dans ce secteur, qui va en partie échapper au contrôle de l’Etat et potentiellement ajouter des éléments nouveaux à prendre en compte par la suite. Plusieurs données semblent encore être en cours de définition, changement ou amélioration, et la certitude de voir ce nouveau quartier émerger de notre vivant s’érode année après année… Pour conclure sur une note positive, et puisque 2018 est une année d’élections cantonales, il ne reste plus qu’à espérer que les meilleures idées qui sortiront dans le cadre de la campagne électorale seront menées à bien et permettront de développer de manière adéquate le marché immobilier local, tout en intégrant les problèmes de logement, de mobilité et de croissance.
François Hiltbrand, Fabrice Strobino et Gary Bennaim
1. Voir notamment
Tout l’Immobilier No 643, 622, 751 et 840, des 27 août 2012, 21 janvier 2013, 19 janvier 2015 et 16 janvier 2017.
https://www.toutimmo.ch/2018/03/36779/